lundi 28 mars 2016

La peur

Il y a celle qui prend aux tripes, un soir, dans l'urgence. Elle naît face à Lucas, huit ans, qui a tenté de se pendre dans la cour de l'école et que ses parents refusent de faire hospitaliser. Elle apparaît, aussi, face à Elodie, cette blondinette de douze ans qui pleure toutes les larmes de son corps et dont on ne sait pas si elle tiendra jusqu'au prochain rendez-vous. Elle broie le ventre, elle coupe le souffle.

Il y a celle qui explose dans des éclats d'impuissance. Elle s'impose face à ces parents pervers que l'on ne peut pas empêcher de voir leurs enfants, parce que ce n'est pas notre rôle. Elle ronge pendant que Gabriel, huit ans, passe le week-end avec le père qui a abusé de lui pendant des années. Elle étouffe lorsque Zita quitte l'hôpital contre avis médical et que son père s'enferme à l'hôtel, seul avec elle, pendant deux jours. Elle étouffe, elle fait trembler.

Il y a celle du désespoir annoncé. Elle envahit lorsqu'Eléonore réalise qu'une fois de plus, ses parents ne lui amèneront pas ses petites sœurs pour le droit de visite fratrie que le Juge lui a pourtant accordé. Elle saute à la figure quand pour la première fois après 3 ans, Samuel rentre chez lui pour la journée et s'aperçoit qu'il n'a plus de chambre. Elle mine, elle serre le cœur et la gorge.

Il y a celle qui pétrifie, qui sidère dans l'incompréhension, qui détruit dans la violence. Elle éclate lorsque Matthieu, quinze ans, se saisit d'un couteau et menace d'égorger Joshua, six ans. Elle attaque face à Katia, quatorze ans, qui s'éclate volontairement la tête dans les radiateurs, dans les murs, dans tout ce qu'elle trouve, tant que ça fait mal. Elle fait reculer, puis elle jette en avant.

Il y a celle qui fait douter, qui pèse de toute notre incapacité. Elle surgit face à Isis, douze ans, qui ne dit rien de ce qui la terrorise et que rien n'apaise. Elle s'insinue chaque fois que Lilas, dix ans, raconte comment elle pourrait faire pour mourir, chaque fois qu'elle dit qu'elle va le faire, chaque fois qu'elle refuse la main tendue. Elle retourne la tête et le cœur, elle fait naître un grand hurlement contenu.

Toutes celles-là, et d'autres encore. Les miennes, les leurs, celles que l'on partage et celles que l'on se cache, celles qui passent furtivement et celles qui s'accrochent.

Le matin avant d'arriver, le soir en repartant, la journée quand je suis sur place, le week-end lorsque je suis loin.

J'ai peur pour eux. Parfois aussi, j'ai peur d'eux, ils ont peur de moi.

La peur est là. On l'apprivoise. On s'apprivoise.

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