lundi 22 août 2016

Gabriel

Il s'appelle Gabriel. Il a huit ans, et c'est mon chef de service qui me parle de lui lors de notre première rencontre, avant même que mon stage débute. Lorsqu'il a été hospitalisé pour la première fois dans le service, Gabriel n'avait pas encore tout à fait six ans. Quelqu'un avait fini par faire un signalement, enfin. Ce petit bonhomme de cinq ans et des cacahuètes vivait avec son père, qui l'enfermait dans sa "chambre" nuit et jour, au milieu de ses excréments. En fait de chambre, une pièce nue, un matelas jeté par terre, des volets toujours clos et une odeur pestilentielle. Gabriel ne parle pas, à peine quelques mots mal prononcés, et présente des crises d'angoisse massives au cours desquelles il se met à hurler, à se balancer, à se frapper et parfois à se taper la tête contre les murs. L'équipe infirmière vit mal son arrivée dans le service. Chaque toilette, chaque habillage, chaque soin met les cœurs à rude épreuve. A cause de la macération, la peau de Gabriel est si irritée par endroits que sa chair est presque à vif. Son petit corps de léopard, parsemé d'ecchymoses et de brûlures de cigarettes, porte les séquelles des abus sexuels qu'il a subis. La vision de ce corps est insupportable pour tous ceux qui prennent soin de lui, infirmiers et médecins.
Je rencontre mon chef de service pour la première fois, et alors qu'il me raconte l'histoire de Gabriel, je vois ses yeux s'embuer. C'est idiot, mais cela me rassure de voir que je vais travailler avec un médecin qui n'a pas étouffé toute humanité derrière une carapace protectrice. Et puis vient cette phrase : "Gabriel reproduit des positions de soumission dans le service, ça a mis l'équipe en grande difficulté. Chacun gère à sa façon. Personnellement, je tourne la tête et je vais voir ailleurs". A nouveau, ses mots me rassure : on peut avoir travaillé presque quarante ans en pédopsychiatrie et être encore, parfois, en difficulté face à certaines situations. Ces mots-là, j'y repenserai souvent, pendant mes six mois de stage, mais je ne le sais pas encore.
 
Ces "positions de soumission", je ne vais tarder à les découvrir. Plusieurs fois par jour, Gabriel se met à quatre pattes et tend ses fesses vers le soignant qui se tient devant lui. D'un point de vue clinique, le premier diagnostic posé a été celui d'autisme. Pourtant, sorti de son calvaire familial et entouré de soins bienveillants, il a progressivement acquis le langage et ses crises se sont calmées. Les médecins se sont ravisés, et Gabriel est devenu un "enfant carencé" parmi tant d'autres. Il ne comprend pas tout du monde qui l'entoure, il garde un léger retard mental et un défaut de prononciation marqué, mais il continue à progresser.
Les yeux de Marie, l'une des infirmières, s'embuent eux aussi lorsqu'elle me raconte les mois qui ont suivis l'arrivée de Gabriel dans le service. Elle m'explique que son père jouissait encore de ses droits parentaux, ce qui est d'ailleurs toujours le cas, et avait notamment obtenu un droit de visite et d'hébergement. Ce n'est pas que personne ne savait ce qu'il avait vécu, tout le monde le savait : les soignants, les services sociaux, le Juge. Seulement voilà, "c'est compliqué" et "la procédure prend du temps". Alors on a quand même envoyé Gabriel chez son père, et les infirmiers n'ont rien pu y faire. Ils ont partagé entre eux leur rage, leur impuissance et tout ce qu'ils avaient de larmes, et puis quand Gabriel est revenu de permission, ils ont fait constater les nouvelles lésions par le médecin et ont repris les soins.
 
La première fois que je le rencontre, Gabriel est en train de se fermer une porte sur le bras. Je m'approche pour l'en empêcher, mais il tire la porte de toutes ses forces. Je lui dis doucement qu'il risque de se faire mal, il lève la tête vers moi et me répond dans un grand sourire : "Moi je veux me faire mal". Ca hurle au fin fond de mon ventre, et cette fois ce sont mes yeux qui s'embuent.
 
Gabriel n'est plus hospitalisé en continu. Il est accueilli dans un foyer de l'Aide Sociale à l'Enfance mais vient passer deux fois une journée et une nuit par semaine dans le service, "pour soulager le foyer". Oui, il faut "soulager" les structures d'accueil qui prennent en charge "ces enfants-là". Si je comprends très bien l'idée et la nécessité de la chose, je trouve le terme bien mal choisi. Je préfèrerais entendre que l'on soulage les enfants...
Gabriel n'a jamais mis les pieds à l'école. A huit ans, il ne sait ni lire ni écrire et peine à tenir un crayon. Il relèverait d'une scolarité en milieu spécialisé, mais aucune place n'est disponible pour lui. A vrai dire, d'autres enfants ont été accueillis avant lui, alors même que les demandes les concernant ont été formulées après celle de Gabriel. Je suppose que pour ces structures-là aussi, Gabriel est un poids trop lourd à porter, un poids qu'il faut "soulager". Les mois puis les années ont passé, et on lui refuse toujours l'accès à l'instruction, ce truc obligatoire pour tous les autres enfants de son âge que compte le pays. Lui, il n'y a pas droit. C'est comme ça, parce que "c'est compliqué".
Du fait de son retard mental et probablement de ses troubles du langage, Gabriel ne bénéficie d'aucune psychothérapie. D'ailleurs, il n'est pas non plus vu en entretien de manière systématique par les médecins du service, comme le sont les autres enfants. "C'est compliqué" et puis "il n'a pas les mots", alors il n'y a rien à écouter et à accueillir. C'est comme ça, c'est officieux, c'est tellement incrusté que personne ne se pose plus de questions. Moi non plus, je ne me pose pas la question.
 
Et puis il y a ce mercredi. Le mercredi, c'est toujours une journée chargée. En début d'après-midi, après les transmissions, Gabriel vient se planter devant moi et me demande doucement : "Lilpap', on peut se voir ?". Je souris, à cause de la formulation, et lui répond "oui, on trouvera un moment mais pas tout de suite". "On peut se voir ?", c'est la question que me posent les ados du service, notamment Samuel, quand ils ont quelque chose sur le cœur. Je dois commencer mes consultations, mais je souris encore en pensant que Gabriel reproduit le comportement des ados qui l'entourent. Le mot qui me vient, c'est "mimétisme".
Il n'est pas loin de 19h, j'ai terminé mes consultations mais j'ai encore des choses à gérer dans le service. Alors que je suis dans le poste de soins, Gabriel entre, se plante à nouveau bien droit devant moi et demande encore : "Lilpap', on peut se voir ?". Je formule la même réponse que plus tôt dans la journée et, à nouveau, il retourne à ses activités en souriant.
La journée se termine et la fatigue aidant, l'ambiance est un peu électrique dans le service avant l'heure du dîner. J'entends soudain des hurlements. Ces cris, ce sont ceux de Gabriel. Je rejoins Bénédicte, l'infirmière visiblement dépassée qui est avec lui. Je m'accroupis devant mon petit patient et lui demande ce qu'il se passe. Bénédicte me souffle "Il est intenable ce soir", mais Gabriel ne me répond pas. Je suis mal à l'aise, et il me faut une bonne minute pour comprendre ce qui est en train de me retourner l'estomac. Je m'accroupis à nouveau, et je demande : "Gabriel, est-ce que tu veux qu'on aille discuter un peu tous les deux ?". Il retrouve son sourire, glisse sa petite main dans la mienne, jette un "j'aime pas ton bureau" et m'entraîne vers la petite salle de jeux.
Il me fait entrer, prend soin de refermer doucement la porte derrière nous, avance un premier fauteuil, en place un second juste en face et, tout sourire, m'invite à m'asseoir. Je me sens tellement coupable de n'avoir pas répondu plus tôt à sa demande d'entretien que j'en ai presque la nausée, pourtant au moment où je m'installe en face de lui, je suis toujours convaincue qu'il n'a rien à me dire. Gabriel, on ne le voit pas en entretien médical. "C'est compliqué" et puis "il n'a pas les mots", alors il n'y a rien à écouter et à accueillir. C'est comme ça, c'est officieux, c'est tellement incrusté que personne ne se pose plus de questions. Moi non plus, je ne me pose pas la question.
 
"Alors, de quoi voulais-tu parler ?". Six mots. Six tout petits mots de rien du tout. Et puis soudain, les vannes qui s'ouvrent et mon regard amusé qui chavire. Pendant presque trente minutes, Gabriel me parle. Il me parle d'un tas de choses. De l'orage de la nuit précédente qui l'a effrayé, d'ailleurs "cette nuit le vent va crier encore ?". De "papa a fait mal à mes fesses", de ce papa "qui était méchant alors le Juge il a dit que moi peut plus le voir, mais maintenant il est gentil peut-être ? et maman aussi, peut-être ?". De ce père, encore, qui "se met en colère et il tape fort fort fort, et il casse la fenêtre". De sa sœur qu'il ne voit que trois ou quatre fois par an. De cet ado hospitalisé qui lui fait peur. Des enfants qui partagent son quotidien au foyer, de sa tristesse face au départ de ses deux meilleurs copains. De sa famille, encore, parce que "moi j'aimerais bien parler à papa et maman, tu peux demander au Juge ?". Il parle, et je suis partagée entre le soulagement de le voir se libérer et la culpabilité de ne pas l'avoir entendu plus tôt.
 
Gabriel, on ne le voit pas en entretien médical. "C'est compliqué" et puis "il n'a pas les mots", alors il n'y a rien à écouter et à accueillir.
 

1 commentaire:

  1. Cela fait un moment que je suis sur des sites de blogues et aujourd’hui, j’ai le sentiment que je devrais partager mon histoire, car j’étais aussi une victime. J'avais le VIH pendant 6 ans et je n'avais jamais pensé que j'aurais jamais un remède, ce qui m'a rendu impossible de me marier avec l'homme avec lequel je devais me marier, même après deux ans de relation, il a rompu avec moi quand il découvre que j'étais séropositif. J'ai donc entendu parler du Dr Itua sur le site de blog qui traitait une personne et cette personne a raconté comment elle avait guéri et laissé ses coordonnées, j'ai contacté le Dr Itua. Il l'a confirmé et j'ai décidé d'essayer. aussi et utiliser ses médicaments à base de plantes, c’est ainsi que mon fardeau a complètement cessé Mon fils va avoir 2 ans bientôt et je suis reconnaissant envers Dieu et reconnaissant envers son médicament aussi. Itua peut ainsi guérir la maladie suivante… Maladie d'Alzheimer, maladie de Bechet, maladie de Crohn, maladie de Parkinson, schizophrénie, cancer du poumon, cancer du sein, cancer du sein Cancer du sein, cancer du sang, cancer de la prostate, siva.Mutation familiale de facteur V de Leiden, épilepsie, syndrome de Duktren, tumeur Desmoplastic à cellules à petites cellules rondes, maladie cœliaque, maladie de Creutzfeldt – Jakob, angiopathie amyloïde cérébrale, ataxie, arthrose, Amyotrophic Scoliose latérale, fibromyalgie, toxicité de la fluoroquinolone
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